Avant même d’avoir un bateau, j’espérais déjà faire un peu de régate. N’ayant pu le faire jusqu’ici, c’était un de mes objectifs prioritaires cette année, et l’objectif est atteint ! C’est la deuxième case que je coche à mon programme annuel après la nuit à bord, et je n’en suis pas peu fier. Retour sur cette première incartade de Kribi dans le monde de la compétition.
La préparation
J’ai assisté en début d’année à une session de formation théorique à la régate. Cela m’a mis le pied à l’étrier et j’ai ensuite flâné sur le net pour mieux comprendre les pavillons utilisés et les règles de course, peine perdue pour le moment 😅. Car si la voile recèle une quantité de vocabulaire phénoménale (qui certes fait partie de son charme), la voile de compétition est à un tout autre niveau ! Sigles à tout va, termes qui se définissent en cascade, information éparpillée, règles complexes, pas facile de s’y retrouver.
J’ai donc opté pour du pragmatisme, je pars avec mon maigre bagage et on verra bien.
J’ai aussi fait l’acquisition d’un spi d’occasion (article à venir) mais avec mon immobilisation de 3 mois suite à ma fracture de la cheville, je n’ai pas eu le temps de compléter son gréement ni d’apprendre son maniement. Ce ne sera pas pour cette fois.
Dès que j’ai pu reprendre la voile, j’ai scruté le programme de régate et j’ai jeté mon dévolu sur l’ultime course de la saison, “Bientôt l’hiver“, prévue pour le 13 octobre. Il s’agit d’une régate de ligue régionale, niveau 5C, Osiris habitable.
J’aurais bien aimé faire quelques entraînements pour m’aguerrir mais le temps m’a manqué, et c’est donc en “bleu” total que j’ai abordé l’épreuve.
Dans les starting-blocks
Mon frère Eric qui devait être mon équipier a malheureusement eu un contretemps et c’est donc seul que j’arrive à Plobsheim le 13 octobre à 9h.
Il règne déjà une certaine effervescence à la base nautique. Quelques bateaux sont amarrés au ponton et les discussions des équipages vont bon train.
Très peu de vent pour le moment mais ça ne va pas durer.
On sera une vingtaine de concurrents et j’ai un objectif, ne pas finir dernier.
Je rallie Kribi avec l’annexe, je le grée puis je met le cap sur les pontons, histoire d’échanger avec les autres concurrents et d’en savoir plus sur le déroulement de l’épreuve. En effet, les instructions de course n’ont pas été publiées sur le site Internet du club et je n’ai aucune idée du déroulement de l’épreuve ni du parcours .
Pas de chance, les pontons sont tous pleins, impossible de m’amarrer. Je tire des bords entre les bateaux en attendant une ouverture.
Vers 10h, la flotte s’ébranle derriere le bateau du comité de course en direction la rive Est. Je suis le mouvement et j’admire au passage les magnifiques spis en regrettant d’en avoir un au fond de mon bateau qui ne pourra pas me servir.
Deux jeunes du club, Mathéo et Guillaume, passent à proximité et je leur demande s’ils connaissent le parcours que nous aurons à faire. Ils m’apprennent qu’ils ont récupéré les instructions de course à terre. C’est ballot, j’aurais bien aimé en faire autant ! Ils m’informent que le parcours est du type “trapèze” ce qui ne m’apprend pas grand chose.
Je rejoins le bateau du comité de course. De nombreux bateaux sont présents et nous évoluons tous dans un espace reserré. Le vent s’est levé et les bateaux se croisent voire se frôlent à vitesse élevée, c’est impressionnant et grisant mais ça me demande une attention soutenue car je n’ai pas du tout envie de causer un abordage. D’autant qu’en dehors de la règle de priorité du tribord amure, je ne sais pas trop qui est censé se pousser en cas de risque de collision.
Première manche
Je sens que le départ est imminent. J’ai aperçu à un moment le pavillon orange qui indique qu’il reste moins de 10 minutes puis j’ai entendu différents coups de corne de brume mais je ne sais pas trop où on en est dans la procédure de départ.
L’une des différences entre théorie et pratique est que dans la réalité, j’ai bien du mal à voir les bateaux du comité de course et le pavillon hissé. Je n’ai pas non plus de VHF ce qui m’aurait été fort utile pour avoir les instructions par radio.
Je suis loin de la ligne de départ quand la corne de brume résonne à nouveau et que la meute s’élance. Je m’engage à sa poursuite. Je comprends que la premiere bouée (invisible à cette distance) est bout au vent et qu’il faut tirer des bords au près pour la rallier. Je réalise vite que je suis beaucoup plus lent que la moyenne. 5 minutes après le départ, la flotte est déjà complètement éparpillée et les premiers au loin ont deux bords d’avance sur moi.
Je suis le dernier d’un trio de bateaux qui ferme la marche ; je ne le sais pas encore mais ce trio de queue va perdurer au fil des manches. Il y a nettement en avant un Dehler Varianta sur lequel navigue Ben, un moniteur du club ; il est suivi d’un Micro challenger nommé “Micro chat” qui a des performances très similaires aux miennes.
Apres une série de bords approximatifs, j’enroule la première bouée en bon dernier.
Le bord suivant est vent arrière et avec “Micro chat“, nous sommes les seuls de la flotte à ne pas avoir de spi. Autant dire que l’écart dejà conséquent avec les bateaux qui nous précédent devient vertigineux. Après la deuxième bouée, je parviens je ne sais trop comment à revenir à la hauteur du Dehler. Las ! Benjamin me crie que j’ai oublié une bouée. Il a raison et je suis contraint de revenir sur mes pas en croisant le challenger, d’enrouler la 3e bouée avant de repartir vers la 4e. Le dernier bord à nouveau vent arrière est un supplice. Toute la flotte a franchi depuis un bon moment la ligne d’arrivée quand j’arrive à mon tour. Temps compensé ou pas, je suis clairement dernier de cette manche.
Le replay de cette manche avec les explications.
Seconde manche
Le ballet des bateaux devant la ligne de départ a repris. J’essaie tant bien que mal de souffler, d’avaler quelques biscuits et de boire un peu d’eau tout en zigzaguant entre les concurrents. Il faut enchaîner virements de bord et empannages pour rester à proximité des bateaux du comité de course.
Mon second départ est aussi raté que le premier mais je ne commets pas de grosse bourde sur le parcours cette fois. Je suis au coude à coude avec Micro chat, c’est le match des losers ! Les autres bateaux sont loin devant, on a bien compris l’un et l’autre que nos bateaux peuvent difficilement rivaliser avec eux au près. Au portant, c’est bien pire car l’absence de spi nous handicape terriblement. Je parviens à finir devant Micro chat à ma grande satisfaction.
Troisième manche
Cela fait plus de 2h que nous sommes en course et 3h depuis que je suis sur l’eau. Seul, les manoeuvres sont exigeantes et je dois faire preuve d’une grande vigilance car il n’y a personne d’autre à bord pour m’avertir en cas de danger. En plus, l’écoute de génois se coince régulièrement dans les taquets du mât m’obligeant à abandonner la barre pour aller la dégager. Un des taquets coinceur du génois lâche aussi régulièrement, choquant la voile d’un seul coup, ce qui me fait perdre de la vitesse et je dois redoubler d’effort pour reborder la voile.
Je suis rincé apres ces deux manches d’autant que le vent est quand même costaud.
Persuadé que la course est finie, je mets le cap sur mon corps mort : une dizaine de minutes après, je réalise que la flotte est restée massée pres de la ligne de départ, la course n’est pas terminée !
Dur, dur de se remotiver. Je regrette vraiment de ne pas avoir eu les instructions de course, je me serais épargné bien des surprises.
Nouveau départ, et je réussis à faire moins bien que dans la première manche sans rater de bouée ! Dans mon duel face à Micro chat, je suis nettement battu et mon orgueil en prend un coup.
le jeu des 7 erreurs
Pourtant, je verrai plus tard dans les résultats que plusieurs concurrents finiront derrière moi, en tenant compte des pénalités et du temps compensé.
Fin de course
Pour la 4e manche, je suis dans le coup pour le départ et bien que dans le peloton de queue, je parviens à rester au contact les 10 premières minutes. Micro chat prend le large mais au prix d’une grande application, je parviens à le rattraper puis à le depasser.
Le vent a beaucoup faibli et la suite s’avère plus compliquée. Kribi se traîne lamentablement à mi-parcours alors que les premiers ont déjà passé la ligne d’arrivée. Puis le vent tombe complètement. Il n’est pas loin de 16h et il est évident que dans ces conditions il me faudra au moins 3/4h pour atteindre l’arrivée. Pierre Bertrand, qui a gagné plusieurs manches navigue à contre sens du mien. Il m’explique qu’il a fini la course il y a un moment déjà et me déconseille de continuer au vu des conditions ; non seulement je vais avoir beaucoup de mal à finir la course mais ce sera encore plus difficile de rentrer ensuite au port. Je sais qu’il a raison et je me résoud à virer pour rentrer ; en depit de la fatigue, ce n’est pas un sentiment agréable que de renoncer et d’avoir le statut DNF (did not finish) pour cette manche.
Classement
De retour à terre, j’attends la publication des résultats. Je suis lucide sur ma performance mais j’espère quand même échapper à la dernière place. Plusieurs concurrents et membres du comité de course me félicitent d’avoir fait la course seul car de l’avis général, elle a demandé un effort physique intense, même à plusieurs par bateau.
Les resultats tombent : sur les 19 participants, il y a 13 places de classement car 6 bateaux “expérimentaux” ont un classement bis. Nous sommes ainsi 3 bateaux ex-aequo à occuper la 13e et dernière place. Mon objectif de ne pas finir dernier est à moitié rempli 😅
Le document ne stipule pas le temps de parcours, il précise juste le classement de chaque bateau dans les différentes courses. Sur les 4 courses disputées, on garde les 3 meilleures pour chaque participant et on totalise les points correspondant à la position. Le but est d’avoir le score le plus faible. Je suis arrivé respectivement 12e dans la première manche, puis 12e à nouveau, 11e enfin puis DNF. J’ai donc 12+12+11=35 pts. Micro chat a 37 pts et je le bats en principe mais nous sommes declarés ex-aequo car il s’agit probablement d’un bateau sans certificat de jauge ou ayant subi des transformations incompatibles avec la jauge.
Conclusion
La course aura duré près de 5h là où j’imaginais qu’en deux heures ce serait plié. Apparemment c’est toujours comme cela.
Elle aura été très riche en enseignements. Parmi les principaux :
- L’Edel 660 n’est pas un foudre de guerre, c’est le moins qu’on puisse dire. Je le savais, il n’a pas été conçu pour cela et il faut lui rendre justice, son skipper n’est pas non plus un fin tacticien ni un barreur émérite. Néanmoins il est apparu clairement qu’à aucun moment, ses performances n’ont été de nature à rivaliser avec celles du reste de la flotte, hormis le micro challenger.
- Les petits défauts du bateau tolérables au quotidien en voile loisirs se révèlent extrêmement pénalisants en compétition. Je pense au taquet coinceur du genois qui lâche régulièrement. Un bloqueur de barre aurait aussi été très appréciable pour ne pas perdre le cap quand je devais bondir decrocher une écoute coincée. Il faudra que je me penche sur ces problèmes.
- Il me faut absolument apprendre le gréement et le réglage du spi. C’est le moyen le plus simple d’augmenter mes chances d’obtenir un meilleur classement. Même ainsi, Kribi ne pourra toujours pas rivaliser en vitesse pure avec des bateaux beaucoup plus légers mais je pourrais tirer plus facilement parti de leurs erreurs et des differences de rating.
- Et bien sûr, il me faudrait un équipier. 5h, c’est long et éprouvant. Etre 2 équipiers permet de se relayer, de decider ensemble de la tactique, les manoeuvres sont facilitées et je gagnerais au moins une quinzaine de secondes à chaque virement de bord.
- Pour les prochaines régates, il me faudra une VHF et récupérer quoi qu’il arrive les instructions de course.
- Je regrette que les temps de course officiels ne soient pas communiqués. Je trouve que cela rend le système opaque et c’est dommage car ça permettrait de se comparer plus facilement aux autres et de voir ses progrès. L’idéal serait d’avoir le temps réel et le temps compensé.
Au final, je suis très heureux d’avoir fait cette course. J’ai pris beaucoup de plaisir et les conditions de vent étaient impeccables. C’est dommage que le vent soit tombé lors de la dernière manche mais honnêtement s’il avait été plus dans les premières manches, j’aurais vraiment souffert.
Vivement la prochaine saison pour une nouvelle tentative 💪