Quand on a un bateau en polyester, la stratification c’est un peu la base côté travaux. Les forums de voileux sont pleins de discussions à ce sujet. Untel a stratifié ci, tel autre a stratifié ça. Et vas-y que ça argumente entre résine polyester et epoxy, que ça polymérise à tout va. A entendre tout ce petit monde, ça a l’air simple.
Mais lorsqu’on débute sur le sujet comme c’est mon cas sans autre assistance qu’Internet, ça n’a rien d’évident. On est vite noyé sous les termes techniques qui semblent évidents pour tous (c’est quoi le roving ? le primaire ?) On a du mal à trouver des conseils de bout en bout. Tout le monde parle de ce qu’il a fait mais peu évoquent les tentatives ratées ou le résultat final et sa tenue dans le temps.
Dans ce billet, je vais partager mon expérience suite à une tentative qui s’est soldée par un échec mémorable. Cela évitera peut être à certains de commettre les mêmes erreurs. Quant aux plus expérimentés, je suis preneur de conseils et d’explications sur ce que j’ai mal fait car je n’ai pas encore pleinement compris ce qui a provoqué le ratage total que je vais vous raconter.
Le contexte
Pour rénover le safran de Kribi – opération décrite dans cette série d’articles – je me suis appuyé sur un tutoriel du site Edelvoilier très bien fait qui préconisait notamment de stratifier l’extérieur du safran pour le renforcer.
Sur le volet stratification, je me suis en plus inspiré des explications suivantes https://ecomposites.fr/blog/reussir-sa-stratification-resine-n14 ainsi que de vidéos comme celle-ci.
J’en ai tiré la procédure décrite ci-dessous. Je decide de travailler en deux temps. Le pemier jour je m’occuperai du bord d’attaque et du bord inférieur du safran. Le second jour sera consacré au bord supérieur et au bord de fuite.
Résumé des étapes
- Disposer du matériel nécessaire. (Voir le détail dans l’article sur le matériel).
- Résine et durcisseur
- Pinceau ou rouleau
- Rouleau ébulleur
- 1 m² de mat de verre à 300g/m²
- 1 m² de tissu de verre (roving) à 160g/m²
- Balance de cuisine (pour le dosage)
- Gants
- Masque respiratoire à cartouches
- Lunettes de protection
- Acétone
- Chiffons
- Tissu d’arrachage
- Scotch marron type déménagement
- Poubelle
- Préparer la surface à stratifier qui doit être lisse et propre
- Prédécouper les morceaux de fibre et de mat de verre
- Faire le mélange résine et réactif en dosant ce dernier à 2 ou 3%
- Appliquer une première couche de résine sur le support
- Apposer la fibre de verre et l’imprégner de résine puis ébuller
- Faire de même avec le mat de verre
- Apposer une seconde couche de fibre de verre
- Plaquer dessus le tissu d’arrachage avec du scotch
Voilà pour la théorie. Et en pratique, ça donne quoi ?
Préparation de la surface à stratifier
Il semble établi que la qualité du support est essentielle pour une stratification réussie, ce dernier devant être lisse et propre. J’ai donc gratté puis poncé le safran jusqu’au grain 320 puis je l’ai degraissé à l’acétone avant de laisser sécher. Jusque là pas de problème.
Préparation du matériel et de l’espace de travail
Lorsqu’on travaille un produit comme la résine, il est préférable de bien préparer son environnement de travail et de prévoir tout le matériel nécessaire à proximité. Parce qu’une fois qu’on a commencé, c’est beaucoup plus compliqué : on a les gants et les protections, le produit colle et le temps est compté une fois le mélange résine-catalyseur réalisé.
Ne pas négliger non plus le fait que la résine dégage une odeur assez forte, travailler en extérieur ou dans un local bien ventilé.
J’ai donc pris le temps de tout préparer et d’avoir tout le nécessaire à portée de main.
Découpe du tissu et du mat de verre
Je prends les dimensions à la louche puis je découpe à la main le mat de verre, suffisamment pour avoir de quoi faire deux couches.
Je découpe ensuite aux ciseaux une quantité de tissu de verre (roving) mais cette fois juste pour une couche.
Mélange de la résine
Avant de mélanger la résine polyester avec le durcisseur, je me suis assuré que les conditions météo etaient adaptées. Il fait 22°C avec 45% d’humidité, ça me semble idéal.
Je prépare 200g de résine dans un récipient.
J’ajoute 4g de durcisseur pour avoir un dosage à 2%.
Je mélange soigneusement à la spatule en bois.
Application de la résine
Je commence par appliquer une première couche de résine sur les arêtes du bord d’attaque du safran. J’essaie de ne pas trainer car la résine va durcir. Ça me prend environ 4 minutes. Pas de souci à signaler.
Première couche de mat de verre
Je dépose mes morceaux de mat de verre prédécoupés sur les bords du safran couverts de résine.
Je les imprégne à la résine. C’est moins simple que je ne l’imaginais : la résine colle énormément et le mat de verre a tendance à se déchirer en petit bouts qui accrochent au pinceau et aux gants. Difficile de ne pas en mettre un peu partout mais dans l’ensemble ça ne marche pas trop mal.
Je finis en retirant les bulles d’air grâce à l’ébulleur.L’opération complète dure une dizaine de minutes.
Couche de roving
J’enchaîne avec la couche de roving. J’ai découpé un morceau d’un seul tenant pour couvrir les arêtes du safran sur lesquelles je travaille ce qui n’est pas la meilleure des idees. Forcément ça fait des plis et il est plus difficile de retirer l’air qui y est emprisonné. Néanmoins, “ça le fait”.
Seconde couche de mat
Et c’est reparti pour une seconde couche de mat. Il s’est écoulé plus de 20 minutes depuis le mélange et la résine est beaucoup moins fluide qu’au début. En plus, il ne me reste plus beaucoup de produit. Je dois travailler vite tout en économisant. Je termine en ébullant. A ce stade, j’ai traité le bord d’attaque et le bord inférieur du safran. Je devrais en principe apposer le tissu d’arrachage par dessus avec le scotch mais ça me semble difficile ; j’ai peur que ça déplace le mat qui a commencé à sécher et je ne suis pas convaincu que ce soit obligatoire, cette étape n’étant pas mentionnée dans le tuto de ecomposites.fr donc je décide de l’ignorer et je m’arrête là.
Deuxième jour
La temperature est un peu plus élevée (23°C) et le temps est ensoleillé. Je commence par inspecter le résultat du travail de la veille et je suis plutôt satisfait.
La stratification semble de bonne facture, l’aspect général est conforme à ce que j’ai vu sur le net. Seule surprise : la couleur tire un peu sur le vert, mais rien d’alarmant selon moi.
Je répète sur le bord de fuite du safran l’ensemble des étapes faites la veille sur le bord d’attaque mais d’entrée les choses se passent moins bien. Je suis plus lent et la résine durcit rapidement.
Mes morceaux de mat et de roving sont beaucoup trop grands et font des plis pas possibles.
Alors que j’en suis à peine à la moitié, 20 minutes se sont écoulées depuis le mélange, il est déjà dur et inutilisable. Je suis en transe, je sens que la situation m’échappe. Je refais du mélange à l’arrache et dans la panique, j’intègre une dose bien trop importante. Cette fois c’est le coup de grâce ! Je tartine la résine frénétiquement et j’en mets partout, le mat de verre est une bouillie, bref c’est la cata.
Je laisse sécher mais je ne me fais pas d’ illusion, je sais qu’il faudra que je recommence la stratification des arêtes du bord de .
Anatomie du désastre
Le lendemain, je contemple les dégâts. C’est vraiment le travail le plus immonde que j’ai pu faire depuis longtemps. Ces quelques images valent plus que tous les discours
Il faut tout enlever pour recommencer.
J’essaie tant bien que mal d’arracher les excédents de mat au cutter, puis à la ponceuse.
Petit à petit, je réalise que la résine adhère très peu au support. Elle forme une sorte de membrane solide superficielle et il est possible de la décoller en glissant la pointe d’un tournevis plat dessous. En procédant ainsi, j’arrive à dégager tout le bord de fuite.
Mais là coup de théâtre !
Je me rends compte que la stratification du bord d’attaque que que j’avais faite le premier jour et dont j’étais satisfait semble également peu solidaire du safran. J’arrive à la décoller de la même manière. Ce n’est pas juste le travail du second jour qui est à refaire, c’est l’integralité depuis le début !
Doublement dépité, je retire toute la résine du safran : elle part avec une facilité relative, preuve que contrairement aux apparences elle étaitde pietre qualité. Rageant.
Épilogue
Mais alors que s’est-il passé ? Aujourd’hui encore, je ne suis pas certain de le savoir.
- Une erreur de dosage ? Pour le 2nd jour, c’est sûr mais la stratification du 1er jour etait correcte de ce point de vue.
- Une résine de piètre qualité ? Ça a pu jouer, les commentaires des acheteurs sont très mitigés mais le principal reproche concerne le séchage qui prend trop de temps alors que j’ai plutôt eu le problème inverse.
- Une quantité insuffisante de produit ? Ça c’est très probable. Quand je revois les images, il est clair qu’il manque de la résine, il aurait fallu en mettre moins dans la préparation, beaucoup plus imprégner le safran et les couches successives et refaire du mélange au fur et à mesure.
- Un mélange imparfait ? C’est possi le, je me suis appliqué la première fois mais moins par la suite.
- Et l’ébullage ? Alors là, je suis sûr que j’ai été mauvais. D’abord, il aurait fallu tremper l’ébulleur préalablement dans la résine pour le saturer de produit et lui permettre de jouer son rôle. Moi je me suis contenté de le faire rouler sec sur le support alors forcément son effet était limité. Ensuite j’aurais dû insister beaucoup plus, faire de multiples passages, chasser les bulles d’air méticuleusement. Tandis que j’ai fait des aller-retours, mais rien de comparable avec la vidéo de Résines et moulage.
En tout cas, la messe est dite. Je n’ai pas le temps ni l’énergie de recommencer. Je décide de faire l’impase sur la stratification et de passer à la suite des travaux du safran, détaillée dans ce billet.
Le mot de la fin
Pour finir, je recommande très chaudement la lecture de la vidéo ci-dessous : elle présente les erreurs les plus fréquentes quand on effectue une stratification, ça m’aurait bien aidé si je l’avais visionnée avant de me lancer 😅